Le nouvel orchestrateur des ultra-marines est un génie, et il a montré samedi soir, avec la bande-son du match FC Girondins de Bordeaux – Evian-Thonon-Gaillard, toute l’étendue de son talent. Retour sur une prestation jusque là peu saluée par la presse, et pourtant frôlant la perfection.
Le nouvel arrangeur-compositeur-percussionniste de la chorale ultra-marine, Kévin Wilhem, descend de l’auteur du fameux Boudin de la Légion étrangère, et il affirme devoir tout son savoir-faire à ses années de formation dans la Fanfare de la Légion. Le jeune homme de 21 ans, qui a récemment quitté la Légion pour prendre la direction de la chorale du célèbre groupe de supporters, nous a, pour sa première, tout offert, sauf du boudin.
Samedi soir, les conditions étaient pourtant rudes. Il fallait composer à la fois avec le climat humide, une acoustique particulièrement délicate (avec seulement une petite douzaine de milliers de personnes, le son rebondissait brutalement sur les gradins dégarnis, voire vides dans les virages), et un contexte plus ou moins morose pour les deux équipes qui s’opposaient dans le rectangle vert. Pour sa première, Kevin Wilhem, torse nu sous le chapeau chinois des musiciens de la Légion, le tambour bas, allait-il relever le défi?
Oui. 1ère idée de génie : faire glisser le kop et lover les supporters dans les hauteurs du virage sud, sous le toit, donc en latéral-sud. « Je voulais mettre les gars à l’abri en cas de pluie, renforcer le pathos de l’intrigue en vidant un peu plus le virage, et surtout travailler sur la formidable caisse de résonance que nous offre l’hémicycle abrité du latéral-sud ». D’une pierre trois coups. Le rideau pouvait se lever.
La chorale ultra-marine nous offrait une ouverture magistrale. Douze minutes d’un lancinant Porque te vas revisité (On le criera sur tous les toits), en beaucoup plus lourd et martial que la célèbre chanson de Jeanette de 1974, emprunt d’une gravité qui reflétait à la perfection l’entame plus que médiocre des joueurs au scapulaire. Kevin, à la grosse caisse, restait imperturbable malgré les occasions savoyardes, maintenant un tempo lent et lourd dans un rythme indubitablement inspiré du When Johnny Comes Marching Home de Laurie Johnson, dans le chef d’œuvre de Kubrick, Dr Folamour. Les roulements de tambour évoquaient l’échafaud, et devaient glacer d’effroi les quelques 7 supporters savoyards qui avaient fait le déplacement.
Alors que le match s’enfonçait dans un rythme marécageux, que n’arrivaient pas à secouer les quelques accélérations de Maurice-Belay, Kevin enchaînait avec un classique du stade, Brazil, qu’un musicien lambda aurait joué guilleret pour réchauffer l’ambiance. Mais l’audacieux poursuivait dans la même veine, lente, martiale, avec dix minutes d’un Brazil de peloton d’exécution, lui qui met un point d’honneur à ne jamais tomber dans la facilité : « Je ne suis pas là pour réchauffer l’ambiance. Je respecte trop le football. Je vois ma musique comme la bande originale d’un film. Si le match n’est pas beau, je ne triche pas. Je dis avec ma musique ce qu’il est. Du moins, j’essaie de toucher sa vérité. Et puis avec cette version de Brazil, je voulais aussi dénoncer ce que vivent les Brésiliens précaires à l’heure où le pays claque des milliards dans l’organisation de la Coupe du Monde ».
Après ces prodigieuses 22 minutes, l’artiste engagé relâchait un peu la bride pour ne pas lasser le public et plomber définitivement le match. La suite était donc plus classique : Marine et Blancs Allez! et Lalalala Lalalala héhéhé hoho en guise d’interludes, suivis de chants plus dansants, comme Rivers of Babylone (Boney M).
Après la pause, Kévin restait discret, en n’offrant au public rien de très exigeant, relâchant ainsi la pression sur les 22 acteurs, qui en profitaient pour nous proposer enfin des buts. Sentant après la seconde réalisation girondine (Saivet sur corner, la tête du 2-1) que la victoire ne nous échapperait plus, Kévin préparait son final.
A la 88ème minute explosait à nouveau, mais cette fois-ci dans une version beaucoup plus légère et festive, le Porque te vas de l’ouverture. A cappella, rythmé par de simples claps énergiques, façon clubbing.
La boucle était bouclée. Magistral. Rideau.
On a hâte d’entendre à nouveau l’artiste au chapeau chinois, en particulier dans des matchs plus prestigieux et dans un stade un peu plus rempli. Comment interprétera-t-il les autres classiques du stade, comme Ah quelle joie d’être un ultra ? Quand aura-t-on la chance de le voir se produire en dehors de Chaban-Delmas, lui qui, tout en rêvant de la nouvelle enceinte du Lac, songe déjà à l’Auditorium, voire au Grand Théâtre? Une chose est certaine : Sud ou Est? aime ce nouveau talent, et nos lecteurs seront les premiers informés des suites de sa carrière.
Par notre expert en chant choral, Archibald de Hautecloque